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Grand
imam de la mosquée d'Al-Azhar, au Caire, comment
réagissez-vous à ceux qui affirment que c'est une guerre contre l'islam ? Non,
non, ce n'est pas une guerre contre l'islam. Ce n'est pas une guerre
de religions. Les chrétiens et les musulmans ne sont-ils pas unis pour
demander que ce conflit soit réglé au plus vite ? L'islam n'est
pas concerné. Ceux qui pensent que l'attaque américaine est une nouvelle
forme d'invasion occidentale, et même de croisade comme on l'entend,
se trompent. La position de la France et des pays européens qui militent
contre la guerre prouve bien qu'il ne s'agit pas d'un conflit de religions
ou de civilisations. Dans
aucun de mes sermons du vendredi à Al-Azhar,
je n'ai lancé d'appel au djihad au sens de "guerre sainte"
que vous donnez à ce mot. Le premier sens du mot djihad en islam, c'est
se défendre. Défendre ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre,
défendre les pauvres, se défendre contre toute forme de vol ou d'agression
venant d'un étranger ou même d'un musulman. Il y a encore d'autres sens
au mot djihad, comme aider les malades ou réconcilier des individus.
Le terrorisme, c'est exactement l'inverse. Le djihad et le terrorisme
sont aussi différents que le ciel et la terre. Le terrorisme s'en
prend à des biens, à des personnes, à un pays. Tout est dans ce verset
du Coran : "Luttez contre ceux qui luttent contre vous,
mais n'attaquez jamais l'autre". Faut-il
comprendre que la résistance à l'attaque des Etats-Unis serait, pour
les Irakiens, une forme de légitime défense autorisant le djihad ? Quand
un pays détruit un autre pays, ses biens, son économie, Dieu peut lui
donner le droit de se défendre. La guerre est toujours un acte horrible
contre l'humanité, et on ne peut jamais prévoir l'étendue de ses conséquences.
Comme simple être humain, je demande à Dieu que cette guerre cesse le
plus vite possible et que les dégâts humains et matériels soient les
moins graves possible. Je demande aux musulmans de faire tout ce qu'ils
peuvent pour venir en aide aux Irakiens et à toutes les victimes de
cette guerre. On
dit souvent en Europe que l'islam est figé, incapable de se réformer.
Cette opinion vous paraît-elle fondée ? La
religion musulmane ne cesse de se développer dans le monde, tout en
conservant son patrimoine de valeurs humaines. Elle a fait évoluer les
mentalités dans des domaines comme l'agriculture, les sciences, l'industrie,
etc. Il est donc faux de dire que l'islam s'est figé et n'évolue pas.
Il progresse sur tous les plans, sauf un : la croyance fondamentale. La
foi musulmane est la même depuis quatorze siècles. La croyance en Dieu
ne peut pas changer. L'évolution n'est pas permise sur le plan de la
croyance en Dieu et de l'éthique musulmane. L'ijtihad
(réforme de l'islam) est possible dans tous les domaines, sauf dans celui
de la croyance et de l'éthique. Les
principes de la morale musulmane sont immuables. Ce sont des piliers
de l'islam. Ils sont connus depuis le Prophète et ils devront s'appliquer
jusqu'à la fin des temps. Ils font partie de la croyance fondamentale
et, je le répète, ils ne peuvent pas changer. Propos
recueillis par Henri Tincq |
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Le Caire de notre envoyée spéciale "Vous
voulez savoir ce que pensent vraiment les pauvres en Egypte ? Je
peux vous le dire entre nous. Ils disent : Que viennent les colonisateurs
américains, au moins nous donneront-ils à manger !" Ces paroles sacrilèges de Samih, jeune désœuvré du quartier populaire de Boulaq, provoquent des soupirs mais pas d'indignation alentour.
Son attitude serait loin d'être l'exception dans une Egypte à bout de
souffle, tenue hors du gouffre par ses bailleurs de fonds américains
et soumise depuis 30 ans à une étouffante loi sur l'état d'urgence. C'est
du moins ce qu'assurent certains intellectuels - de préférence hors
micro, car un tel "défaitisme" n'a pas droit de cité. Parmi
eux, Shouhdi, un ancien du puissant mais éphémère
mouvement étudiant du début des années 1970, se dit aujourd'hui d'accord
avec Samih, face à "l'hypocrisie et
la corruption d'un pouvoir figé et impuissant". Alors, si Bush
promet d'imposer la démocratie aux dictatures arabes, "va pour
la guerre !", dit-il. "C'est
l'avis des 5 % les plus pauvres de la population et des 5 %
les plus riches, prêts à vendre père et mère", assure Mohammad Abdessalam, du
Centre d'études stratégiques d'Al-Ahram, qui
reconnaît toutefois n'avoir aucune donnée fiable sur l'état de l'opinion.
Ce chercheur proche du pouvoir donne une des explications courantes
au "silence de la rue" égyptienne : "Depuis plus
de deux ans, dit-il, les Egyptiens voient tous les soirs à la
télévision les massacres en Palestine, ils ont vu que leurs manifestations
n'ont servi à rien et ils se disent qu'elles serviront encore moins
dans le cas de l'Irak." En
réalité, depuis les émeutes de 1977, les manifestations de rue sont
interdites. Les maigres centaines d'opposants à avoir bravé l'interdiction
ces derniers mois se sont chaque fois retrouvés isolés par un nombre
supérieur de policiers et des organisateurs furent arrêtés. Pour manifester
contre Bush, il fallait l'accord d'un pouvoir que chacun sait être soumis
aux Américains. Les Frères musulmans, seule opposition importante, ont
ainsi attendu son autorisation pour rassembler, avec d'autres partis,
une centaine de milliers de personnes dans un stade. Une semaine plus
tard, le Parti national démocratique au pouvoir drainait dans la rue
plusieurs centaines de milliers de manifestants anti-guerre dociles.
Le président Hosni Moubarak entendait ainsi montrer à ses alliés américains
qu'il doit tenir compte d'une opinion "antiguerre", mais aussi qu'il reste!
capable de la canaliser. Il s'agit d'éviter que l'Egypte figure sur
la liste des régimes à changer au Moyen-Orient. Cette
assurance n'est bien sûr pas fournie explicitement, mais le chercheur
d'Al-Ahram en est certain, après une tournée
récente aux Etats-Unis. "Nous ne manquons pas d'agitateurs pour
dire le contraire, pour dire que le tour de l'Egypte viendra après celui
de l'Irak, de la Syrie, de l'Iran ou de la Libye, mais ces provocateurs
n'y croient pas eux-mêmes, assure-t-il. Même l'Arabie saoudite,
problème autrement plus urgent pour Washington que l'Egypte, ne sera
soumise qu'à des pressions en faveur des réformes, avec soutien du pouvoir
en place." Est-ce
à dire que les Etats-Unis auraient déjà décidé de soutenir le fils du
président, Gamal, qui se pose de plus en plus en héritier et garant
de réformes à venir ? Le sujet est tabou, de même que celui de
l'état de l'armée, supposée empêcher toute prise du pouvoir par les
islamistes. Mais le succès des propos récents, tenus dans l'Université
américaine du Caire, par le doyen de la politique égyptienne Hassanein
Heykal, appelant le président et son fils à renoncer à toute
idée de "présidence monarchique" au profit d'une vraie
transition démocratique, laisserait entendre que Washington hésite encore
à ce sujet. En tout état de cause, la question est posée en ces termes,
car "un débat court partout en filigrane : l'arrivée des
Américains va-t-elle favoriser un renouveau ! démocratique et économique
en Egypte ?", assure le journaliste Oussama
Al-Ghazouli. La
population en doute très fort, avant tout à cause du soutien américain
à Israël, mais le désir d'y croire, ne fusse que par désespoir, est
sans conteste également présent. Il expliquerait en partie ce "silence"
de la rue. "C'est un retour à l'esprit de Camp David, qui voit
les Etats-Unis en intermédiaire obligé, seul capable de résoudre les
problèmes de la région", constate un diplomate européen. Sophie
Shihab |
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